mardi 17 novembre 2015

Pourquoi je ne suis pas devenue terroriste ?

Vendredi, c'était l'anniversaire de ma maman. 

Maman qui - je le rappelle - est arrivée en France il y a plus de 40 ans. Elle ne parlait pas un mot de français et pourtant elle s'y est installée, y a fait naître et élevé ses 3 enfants.

C'était une immigrée. 


Bouh le vilain gros mot.

J'ai un nom et un prénom absolument français (plus que ça, tu meurs) mais on veut toujours me rajouter un "-s" quelque part, comme si ça n'était pas normal. Ou alors ils m'accusent d'avoir fait franciser mon nom. Comme si on était obligé d'avoir un nom étranger quand on a le teint basané.

On me demande toujours si j'ai "des origines".

Comme si j'étais obligée de manger de la morue, d'avoir une mère concierge et un père maçon et de chanter du fado en regardant un match de Benfica une Super Bock à la main.

J'ai appris à ne plus m'en offusquer (ou presque).

Nous on préfère Aznavour, le vin rouge et le rugby. Chacun ses goûts.

Bref. 

Ce week-end, je suis allée voir mes parents. 

Et la première chose que j'ai demandé c'est : 

"Pourquoi maman ?"


Pourquoi ? 

Ils avaient mon âge. Ils étaient nés en France. De parents émigrés. Éduqués par la République Française. 

Comme moi. 


Alors pourquoi ? 

Qu'est-ce qui a fait de moi une française intégrée, fière de son pays et l'aimant farouchement envers et contre tout ? 

Qu'est-ce qui a fait d'eux des Français haineux, prêts à se faire exploser pour tuer un maximum de leurs compatriotes, quand moi je les considères comme mes frères et soeurs, quand moi je pleures, quand moi, je me dis que ça aurait pu être moi ?

Qu'est-ce qui fait que j'ai le mal du pays dès que je pars trop longtemps, tandis que eux ne rêvent que de vivre ailleurs ? 

Qu'est-ce qui a fait de moi un adulte intelligent, doué de conscience, capable de faire la distinction entre le bien et le mal, de faire des choix par conviction ? 

Qu'est-ce qui a fait d'eux des fanatiques religieux, incapables de lire le Coran (visiblement), d'éprouver de la pitié, de la compassion voire simplement un peu de bon sens ?

D'aucuns diront que ce n'est pas la même chose. Que pour moi, c'est l'Europe, et que nous avions la même religion contrairement à ces gens là.

Ce à quoi je répondrais que nous avons la même religion. Que nos textes parlent des mêmes choses, qu'ils transmettent les mêmes valeurs.

Nous sommes nés en région parisienne, à la fin des années 80. Nous avons suivi un cursus scolaire dans des établissements similaires. Nous avons appris la Marseillaise. Nous avons su lire "Liberté, Égalité, Fraternité" sur nos murs. Nous avons assisté à des fêtes du 14 juillet. 

J'en ai tiré une fierté pour mon pays. Un chauvinisme exacerbé qui me fait râler en permanence et bomber le torse quand on me demande d'où je viens. J'en ai tiré l'envie de donner un prénom franco-français à mon fils, l'envie de revendiquer mon appartenance à une région dans laquelle je ne suis pas née mais dont je suis tombée amoureuse, l'envie de vivre ici toute ma vie. 

Eux, n'en ont tiré que de la haine. 

Et, malgré tous mes efforts, malgré tous mes questionnements nocturnes... 

Je n'arrive pas à comprendre pourquoi. 



samedi 14 novembre 2015

Le Cocon

J'ai eu du mal à émerger, ce matin. 

Comme après une gueule de bois. 

J'avais le ventre serré, je pense que j'ai eu du mal à digérer, à réaliser. A réaliser que j'avais des proches, là bas. A réaliser que si pour moi, vendredi soir est signe de repos et de glandouille, pour la plupart des gens normaux - et les parisiens en particulier - le vendredi soir est signe de vie sociale, de sorties, de restaurants.  

J'ai envoyé des sms. Et puis j'ai pris mon fils sous le bras pour passer à mon lieu de stage récupérer des papiers que j'avais oublié la veille. Surtout, ne pas rester à la maison, ne pas regarder les mêmes images, en boucle. 

Sur la route, j'ai reçu des sms. Ils allaient bien. Tous. Ils étaient tous en vie. 

Grâce à Dieu. 

J'ai filé acheter le siège auto de Brugnon. Un siège de grand parce que le 0+/1 devient un peu juste. Un achat qu'on repousse depuis plusieurs mois déjà, par manque de moyens. Mais j'ai senti que c'était le bon moment. Pas financièrement mais moralement. Pour la sécurité de mon fils. 

J'ai cédé sur à peu près tout, aujourd'hui. 

Les repas, les désirs, les envies. 

J'ai dit oui au biberon à 15h. 

J'ai dit oui aux bonbons. 

J'ai dit oui au ballon. 

J'ai lu des tonnes de Tchoupi.

J'ai tout accepté. 

Et j'ai béni le ciel qu'il soit trop petit pour comprendre. 

Béni le ciel qu'il ne voit dans ces images que des "tamion pompiers" et de la "poulisse" "pin pon, pin pon !!!!". 

J'ai béni le ciel qu'il ne comprenne pas. 

Béni le ciel qu'il joue avec ses camions, qu'il soit tout fier de me faire des bisous en ouvrant grand la bouche comme pour m'avaler. 

Béni le ciel de ses sourires malicieux, de ses remarques pertinentes et impertinentes qui détendent toujours l'atmosphère, qui mettent un sourire sur le visage des gens qui le croisent. 

Mon fils est magique. 

Mon fils est une étoile. 

Mon fils est mon cocon. 

Mon fils est une lueur d'espoir. 

Mon fils sera - je l'espère - un être intelligent, ouvert d'esprit, respectueux. 

Une pierre à l'édifice du monde de demain. 

Qui ne sera pas celui d'aujourd'hui. 

Je vais prier pour qu'il ne soit pas celui d'aujourd'hui. 


lundi 9 novembre 2015

No Gender en Action

Je déteste qu'on enferme les gamins dans des cases.

Bleu pour les garçons, rose pour les filles. Camion pour les garçons, poupée pour les filles. 

Je me souviens d'une histoire chez des connaissances qui m'avait profondément choquée, ya de ça au moins 10 ans (bordel, le temps passe vite). On était tous attablés et leur gamin de 4 ou 5 ans tombe par terre et s'écorche le genou. C'est pas très grave, mais il saigne. Et bien sûr, il pleure. Il vient voir sa mère pour être réconforté et celle-ci rigole en disant :

"mais arrête, t'es un garçon, les garçons ça pleure pas ! "

Voilà.

Et bah pardon mais je trouve ça franchement débile.

C'est un enfant, il a mal, il pleure.

Qu'il ait ou non des coucougnettes ça change rien à sa douleur.

Et l'inverse est pareil hein.

Bref.

ça c'était la partie coup de gueule.

Maintenant, on passe à la partie "niouniouniou".

Du coup, no gender oblige, on a toujours élevé Brugnon dans le partage des tâches. En même temps, c'est pas dur, le spécialiste du ménage à la maison, c'est pas moi (ça se saurait).

Donc, depuis son plus jeune âge (en même temps il est pas vieux) Brugnon adore passer le balai, aller chercher la pelle, essuyer les vitres...

Et puis, aujourd'hui, il m'a vu repasser et il m'a demandé s'il pouvait repasser "tout seul". 

Bah non hein, ça m'arrangerait bien, mais c'est chaud le fer. Si tu veux maman te repasse ton torchon. 

Alors je lui ai repassé son torchon. Il est reparti tout fier avec son torchon. Il s'est installé sur le canapé. Il a pris un vieux téléphone portable et il m'a dit "A repasse maman, a repasse !"

Voilà.

ça c'est un homme de demain.

Un vrai.

(Tu peux faire "niouniouniou" maintenant).

(après je dis pas que tous les hommes doivent repasser hein, t'as même le droit de revendiquer le non repassage, tu fais comme tu veux !)



dimanche 1 novembre 2015

Lâcher Prise

Ca fait plusieurs semaines que j'étais en manque d'iode, du coup, ce matin, j'ai demandé à Brugnon s'il voulait aller à la mer. Ce qui est bien (ou pas) avec un 2 ans et demi, c'est qu'il peut approuver mes idées folles, comme aller à la mer un 1er novembre de retour de vacances des parisiens. 
"A mer ? A mer !!!! Zoter des cailloux à la mer !" 

Nous voilà donc à la mer. 
Brugnon court dans le sable et s'approche du bord pour s'adonner à sa passion préférée (le jet de cailloux, donc). Et je commence à stresser. Ses chaussures de cuir n'aimeront pas l'eau de mer et son jean est trop serré pour être remonté. Et puis, on est le premier novembre, quand même. Et ma mère disait encore hier qu'il allait prendre froid et que s'il était toujours malade, c'était de ma faute. Donc je suis là, à surveiller les vagues qui montent et à crier "recule, recule !" à tout bout de champs. 

Et soudain ça arrive, comme ça, d'un coup. 

Je m'auto-saoule. 


Je me saoule à râler, je me saoule à stresser et je me saoule à me focaliser sur des pompes alors qu'on est à la mer, un 1er novembre, et qu'il fait un temps sublissime bordel

Pourtant je suis la première à dire que les vêtements ce sont justement des vêtements et que c'est pas si grave s'ils sont sales, au final (quelqu'un peut éventer ma mère, s'il vous plait ?)

Et perdue dans mes pensées, ce qui devait arriver arriva. De l'eau jusqu'aux chevilles, je me jette sur Brugnon et je me mouille aussi. 

Nous v'la bien avec nos pieds trempés.

Alors je retire tout. Les chaussures, les chaussettes. 

Tant pis pour mes ongles trop longs et mon vernis écaillé. Tant pis pour son jean mouillé, il aura qu'à voyager en couche après tout. (on perd ma mère, on perd ma mère !)

Je lâche prise. 


Je fais comme on m'a appris en cours. Laisser explorer sous un regard bienveillant. Faire ses propres expériences. Sans être derrière son dos sans arrêt. 

Et il a kiffé. 

Il s'est mis à courir dans le sable mouillé, il a regardé la mer lui lécher les pieds, il a jeté des cailloux, des coquillages, des moules, des couteaux. Il a touché le sable mouillé et le sable sec. A chaque fois il se tournait vers moi pour avoir mon soutien. Et puis il s'est fait peur en allant un peu loin et en se faisant prendre aux genoux par une vague (mais il n'est pas tombé hein, maman, il est bien vivant, TOUT VA BIEN). Mais il a appris. Il a appris ce que je m'évertuais à lui répéter, qu'il ne faut pas aller trop près et qu'il faut reculer quand une vague arrive. 

On est restés 2h sur cette plage. 

Je l'ai remis dans la voiture pieds nus et sans pantalon, avec du sable jusqu'aux oreilles. 

Mais je sais qu'il a passé une journée exceptionnelle. 

Et il s'est endormi sereinement en 10 minutes ce soir en me racontant des histoires de mer, de mouettes et de coquillages. 

Alors, franchement, c'est pas grave si les chaussures sont en train de sécher sur le radiateur. 

C'est pas grave s'il y a 3 kilos de sable dans ma voiture et 2 autres dans la baignoire. 

Aujourd'hui je suis la maman la plus formidable du monde. 

(ça va, Maman ?)

Cabourg, avril 2015