mercredi 29 novembre 2017

Ma vie de (presque) aide soignante

Comme tu le sais peut être (ou pas) je suis Auxiliaire de Puériculture depuis 1 an et demi. J'ai très peu d'expérience, 6 mois en maternité et 6 mois en néonatologie. Les autres 6 mois ? Et bien je les ai passés chez l'adulte. 

Oui tu as bien lu, une auxiliaire de puériculture chez l'adulte.

Une décision de la Direction du CHU pour lequel je travaille. Je ne reviendrais pas là dessus, je n'ai pas choisi, mais j'ai accepté, pour garder mon travail. 

J'ai failli faire un article pour te parler de mon envie de pleurer des premiers jours. Comment je me suis sentie perdue dans un service que je ne connaissais pas, pour un boulot que je ne connaissais pas... Les couleurs des protections, remonter quelqu'un dans un lit sans se péter le dos, et s'entendre dire qu'il fallait que je sois plus organisée et plus rapide...

Mais j'essaie de retenir l'essentiel.

Ce couple tellement soudé à domicile qui m'a appris à me servir d'un verticalisateur.

Ce même couple qui a tapé un scandale quand j'ai changé de tournée parce que "juste quand on commence à s'attacher, on vous arrache à nous, c'est pas juste".

Cette petite dame qui avait toujours froid.

Ce petit couple qui m'offrait toujours un café.

Cette patiente qui n'avait pas vraiment besoin d'être lavée, mais qui m'aurait volontiers invité à déjeuner.

Ces heures à tourner en rond avec ma voiture.

Certaines poignées de main. Certains regards. Quand les mots n'arrivaient pas mais que les gestes parlaient.

Les moments de solitude et d'angoisse aussi.

Ce patient qui m'a jeté dehors parce que j'avais 30 minutes de retard.

Cet autre qui a appelé ma hiérarchie juste parce qu'il s'inquiétait pour moi alors que je m'étais perdue.

Ces patients qui ont vraiment été tristes de me quitter.

La première fois que je me suis fait insultée par un dément et que ça m'a fait rire, même s'il ne fallait pas.

Les patients qu'on retrouve dans le couloir en tenue d'Adam, sans savoir ce qu'ils ont fait de leurs vêtements.

Les combats au SHA, à la sauce ou à d'autres trucs dégoûtants avec les collègues, ou les fringues planqués dans le vestiaire.

Ce patient qui ne pouvait plus parler, mais qui se tapait des barres avec moi pendant la toilette parce que je disais des bêtises.

Les "fous de la gâchette" qui m'appelaient parce que leur fauteuil devait être décalé d'un centimètre à gauche (et je n'exagère pas).

L'ouverture de service, le premier jour dans un vaste chantier à se demander ce qu'on foutait là.

Les fous rires nerveux en se demandant comment on allait faire, l'organisation du service alors que je ne savais même pas comment ça fonctionnait.

Les heures de ménage pour tout installer, le premier patient, les fou-rires en équipe, les pauses clope, le café sacré...

Les quantités de fluides corporels trouvés dans des endroits improbables qui m'ont définitivement immunisée contre à peu près tout.

Et toutes mes premières fois...

La première fois que j'ai rasé un homme et mon angoisse de le couper. Ma premières escarre et l'infirmière qui avait peur que je tombe dans les pommes. Mon premier Oedème Aigü du Poumon et cette heure interminable à tenter de rassurer mon patient qui se sentait mourir. Mon premier décès aussi.

J'ai vécu presque 5 mois de folie qui m'ont épuisés physiquement et moralement.

J'ai aussi vécu des moments incroyables dans le bon ou dans le mauvais sens.

En 5 mois j'ai eu l'impression de redevenir moi-même, d'accepter qui je suis, quelle soignante je suis et de suivre le mouvement. Je me suis rasée la tête, je me suis déguisée pour Halloween, j'ai chanté du Edith Piaf dans les chambres et dansé le Jerk avec les collègues en préparant les repas.

Aujourd'hui je suis retournée dans mon service de néonatologie. Ici on ne danse pas, on chante peu. C'est sérieux la néonat. C'est des soins intensifs. Il faut toujours être sérieux. Je me sens toujours à la traine, toujours jugée, toujours moyenne. J'ai l'impression que je ne serai jamais à la hauteur de ce qu'attendent mes collègues.

Et quand je fini un quart le coeur chavirant de mauvaises ondes, je me dis que merde, j'ai réussi à tenir le coup chez l'adulte où j'estime avoir fait du bon boulot au final. J'ai été une blouse rose parmi les blouses jaunes pendant des semaines. Je peux bien être une blouse rose parmi d'autres sans rougir.

Je peux le faire.