dimanche 2 septembre 2018

Faire le deuil...

C'est marrant comme parfois, on a l'impression de vivre des événements sans vraiment être là, comme si notre esprit avait besoin de souvenirs pour digérer l'information. 

Il y a 6 ans, je te parlais ici de l'accident auquel j'avais assisté et qui m'avait profondément marquée. Il ne m'a jamais quitté, depuis. Chaque année, à la date anniversaire - le 28 juillet - je repense aux victimes. A d'autres moments aussi, quand j'ai eu mon fils, quand j'ai passé ma formation de premiers secours, dès que je vois un gilet jaune sur le bord de la route... Cette année, n'y tenant plus, j'ai lancé une bouteille à la mer. 

A l'époque, quand j'avais fait ma déposition, les gendarmes m'avaient parlé de famille dans un patelin de Normandie proche du miens. Je n'avais jamais osé pousser les recherches, laissant la famille à son deuil, gérant le miens comme je le pouvais. Cette année, j'ai finalement décidé de faire une demande publique sur un groupe Facebook d'Evreux, en me disant que, peut-être, si quelqu'un voyait mon message, j'arriverais à avoir des informations, à discuter, à exorciser ce que j'avais vécu. 

J'ai reçu beaucoup d'encouragements, quelques insultes, aussi, de personnes qui m'accusaient de rouvrir des plaies à peine refermées dans la famille. C'est peut-être vrai, c'était peut-être égoïste de ma part mais, en discutant avec les amies avec qui j'étais à l'époque, j'ai découvert que je n'étais pas la seule à n'avoir pas pu tourner la page. Nous sommes toutes restées coincées sur cette route entre Rennes et Quimper. 

Quelques jours plus tard, une personne m'a contactée pour me donner des informations qu'elle avait dégotée sur internet. J'avais enfin des noms, des âges. Cela m'a fait un effet incroyable. Comme si ces vies devenaient concrètes. Ce n'étaient pas que des victimes. Ce soir là, j'ai traîné des heures sur le net à voir sous mes yeux leurs vies s'étaler. Ils avaient des amis, des collègues, une carrière. 

Grâce à ces recherches, nous avions un lieu de sépulture. Nous nous y sommes rendues hier, toutes ensembles, réunies pour la première fois depuis 6 ans. Quand nous sommes arrivées dans ce cimetière de région parisienne, entouré d'arbre, nous avons été choquées par la taille de l'endroit. Nous pensions trouver assez facilement, mais le lieu était immense. Enfin, nous avons trouvé le gardien et il m'a dit qu'il pourrait peut-être retrouver leurs noms dans ses registres. 

"En 2012, vous dites ?"
"Oui, ils étaient 4, sous le nom X ou Y, peut-être les deux".
" Une famille ? Celle qui est décédée dans un accident de voiture ?"
"Oui, ce sont eux". 
"La voiture a pris feu, c'est ça ? Je l'avais vu à la télévision". 

C'était dingue, comme si tout devenait réel. Il nous a emmenées devant la grande pierre tombale en granit rose, gravée d'un coeur et d'une colombe, où leurs 4 noms étaient inscrits en lettre dorées. 4 noms, 4 dates de naissance et la même date de décès. 

Nous avons revécu tout l'accident ensemble. Revoyant des scènes, revivant des sensations, ressassant cette impuissance et cette culpabilité de ne rien avoir pu faire. C'était terrible. Et puis, à côté de ça, nous avons eu du mal à trouver de la place pour poser notre modeste pot de fleur. La tombe entière était recouverte de plantes et de petits cailloux posés en forme de coeur. Ils n'étaient pas seuls, perdus dans ce cimetière, ils étaient visités, reconnus, aimés. 

J'ai proposé à mes copines de boire un verre après, parce que ma gorge était serrée et que j'aurais eu du mal à reprendre la route sitôt après. On s'est posées en terrasse, on a échangé des souvenirs, on a pas mal rigolé. 

La vie a repris son cours. 

Je n'ai pas oublié, je n'oublierai jamais. J'ai changé de vie pour me consacrer aux autres et c'est en partie parce que je crevais de rester inutile, sans pouvoir changer ce qui s'était passé. Ils feront toujours partie de moi. 

L. aurait 10 ans. W. 8 ans. R. n'avait que 5 ans de plus que moi. F. se consacrait au développement de la culture en Bretagne. 

Nous avions des points communs. Nous aurions pu être amis. 

Comme une amie, j'aurais toujours une pensée pour eux, pour cette sépulture rose, au milieu des arbres, fleurie par leurs proches. 

à

2 commentaires:

  1. Je n'avais pas lu ton récit de ce jour où tu avais fait l'expérience atroce d'être le témoin impuissante d'un accident aussi violent.

    A la lecture de ton texte, j'ai eu les larmes aux yeux et je n'y étais même pas. Je comprends tellement que tu aies pu être traumatisée par ce que tu avais pu voir et ressentir. Qui ne l'aurais pas été?

    Froidement,on dirait que tu subis un stress post-traumatique et qu'en effet cela se soigne. Que c'est tout à fait normal aussi, et que ce sont souvent les personnes qui n'ont pas pu agir qui le subissent le plus violemment.

    Humainement, j'ai envie de te dire qu'heureusement, que nous sommes tous liés, et que je te remercie d'avoir pu décrire aussi sincèrement que oui, on peut être touché par le sort d'inconnus, sans pour autant être des ménagères en quête de sensations fortes, ou des voyeurs. Juste parce qu'on est tous humain, et qu'on est donc touché par ce qui peut arriver à d'autres comme nous.

    Sonia

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci de ton commentaire... Oui j'ai eu un stress post traumatique et j'ai hésité à voir un psy à l'époque, parce que j'en avais perdu le sommeil et que je commençais à avoir des crises d'angoisse en voiture. Ecrire m'a fait du bien et j'ai réussi à passer par dessus ça mais c'est sûr que ça restera gravé au fond de moi.

      Je n'ai à aucun moment eu l'envie ou même la tentation de sortir mon téléphone à l'époque, sauf pour appeler les secours. Je ne comprends pas qu'on puisse vouloir diffuser ça, parce que vraiment, quand ça arrive autrement qu'à travers un écran, c'est juste horrible... Et oui, j'aurais vraiment voulu faire quelque chose pour eux :)

      Supprimer

Les commentaires sont modérés alors ne t'inquiète pas s'ils mettent du temps à s'afficher, je suis pas toujours là mais ça finira par arriver et j'y réponds (presque) toujours !