mardi 26 février 2019

Faire le deuil

Il m'a fallu 1 an. Un peu plus, même, 1 an et trois mois. Depuis 1 an, le père de mon fils n'a pas donné de nouvelles et putain, ce que je lui en ai voulu ! C'était comme s'il ravivait la plaie de notre séparation. Depuis 3 ans, je m'évertuais à ramasser les morceaux de ma vie éparpillés un peu partout. 

Une à une, j'ai franchie les étapes du deuil. Car oui, s'il n'est évidemment pas comparable à celui d'un décès, le processus d'une séparation peut s'apparenter à un deuil, surtout si, comme la mienne, la relation a duré une bonne décennie. 

La colère, énormément, m'a submergée. Je l'ai accueillie avec bienveillance parce qu'elle faisait de moi une femme forte. Elle m'a fait tenir, elle m'a aidé à traverser les épreuves, à affronter la vie. J'ai détesté cet homme autant que j'avais pu l'aimer autrefois. Je l'ai haï, viscéralement, au point de ne plus supporter la moindre photo, la moindre évocation. Je fuyais autant que possible le moindre souvenir, la moindre chanson, le moindre lieu qui pouvait me le rappeler.

La peur, m'a attrapée au passage. Je me suis triturée le cerveau en imaginant les pires scénarii possibles, l'imaginant me faire des crasses qu'il ne m'a jamais faites. J'ai eu peur de la suite, peur de ne pas m'en tirer, peur de finir à la rue. 

J'ai été triste, souvent. Je n'ai jamais pleuré sur notre rupture, j'avais déjà versé trop de larmes sur notre histoire, mais j'ai été triste pour mon fils. Triste de cette page vide sur le livret de famille, de cette seule signature sur le carnet de liaison, des explications que je dois donner encore et toujours et de toutes les questions qu'on me pose avec un air désolé. 

J'ai même regretté, parfois. Et ça n'a fait qu'attiser à nouveau ma colère. Parce que je ne pouvais pas m'empêcher de toujours comparer mes histoires à celle que nous avions vécue. Il était ma seule référence, ma plus longue histoire. Je l'avais défendu corps et âme et je n'étais pas sûre de pouvoir retrouver cette certitude du "nous deux c'est différent" avec quelqu'un d'autre.

Puis j'ai accepté

Puis j'ai pardonné (ou presque). 

Je m'en suis rendue compte lors d'une séance de psy pour mon fils. J'avais peur qu'il ne souffre, de passer à côté de quelque chose, de le faire grandir avec un traumatisme et de réagir quand il serait trop tard. 

J'ai été mal à l'aise quand il a fallu parler de ma vie devant une étrangère, aborder des sujets douloureux dont on ne parle pas d'habitude. ça m'a fait mal de l'entendre mentionner les hommes qui sont passés dans nos vies et d'entendre de la bouche de mon bébé ce que j'aurais préféré oublier.

Et puis, la psy m'a rassurée, m'a dit qu'il avait vécu des choses tristes, mais que ça ne l'empêchait pas de vivre, qu'il faisait face assez facilement. Elle m'a dit qu'il n'avait pas besoin d'une thérapie, qu'il gérait très bien tout seul et que les réponses que je lui apportais lui suffisaient. 

Le soufflé de ma colère est retombé d'un coup. Cette séance a libéré mon esprit et la parole de mon fils. Depuis, il me parle régulièrement de son père sans tristesse et je lui réponds sans colère. 

Aujourd'hui, il m'a dit qu'il était content qu'on ai gardé des photos de son géniteur, pour ne pas oublier à quoi il ressemblait. Je lui ai dit qu'il m'en restait encore plein, que je les gardais pour lui, et que s'il le souhaitait, je les imprimerais. Il a été emballé par l'idée. 

En fouillant dans mon passé à la recherche des photos qui orneront bientôt son mur au dessus du planisphère Tip Toï, je me suis demandée pourquoi je n'avais pas fait ça avant. La réponse m'est venue toute seule : je n'étais pas prête. Jusque là, je ne pouvais pas supporter de le voir ainsi sous mes yeux tous les jours. 

Mais aujourd'hui, j'ai épluché mes albums photos sans le moindre sentiment. Ni haine, ni tristesse, ni nostalgie. J'ai regardé défiler les souvenirs d'un oeil bienveillant, choisissant de jolis clichés qui feraient plaisir à mon fils. 

J'ai senti, au plus profond de moi, que j'étais enfin prête à passer à autre chose. 

Définitivement

Mon fils et moi allons de l'avant, dans cette petite famille atypique que nous nous sommes construite. Mon garçon est formidable, il grandit merveilleusement, m'étonne chaque jour, me fait rire et gonfle mon coeur de bonheur. 

Je me sens plus légère. Je me suis pardonné d'avoir choisi cette voie et ce père pour mon enfant. Je me suis pardonné d'avoir fracassé nos vies en voulant vivre la mienne. J'arrête enfin de porter le poids de la culpabilité qui me dévorait depuis 6 ans. 

Le puzzle de ma vie ressemble enfin à quelque chose. Le visage du géniteur de mon fils en fait partie mais quelque part au fond, en décor, comme un personnage secondaire qui n'a fait que passer. Il n'est pas important, il n'est plus important. Et son absence ne l'est plus non plus. 

Nous sommes une famille.

Et nous avons mis un point final à notre passé. 


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