J'ai toujours aimé écrire. Au sens propre comme au figuré. J'ai fait des lignes d'écriture à n'en plus finir, m'attirant les moqueries de mes camarades qui ne comprenaient pas que je fasses des punitions qu'on ne m'avait pas données. Pourtant, rien ne me prédisposait à ça. Je ne suis pas douée de mes mains, je n'ai aucun talent artistique. Il m'a fallu des années pour que mon écriture devienne potable. Je me souviens qu'en primaire, je n'avais pas le droit d'écrire au stylo-plume, parce que je n'étais pas assez soigneuse, pas assez douée, que c'était réservé aux meilleures élèves.
Aujourd'hui, je n'écris presque plus à la main. J'ai écrit les 500 pages de mon roman sur ordinateur, parce que c'était plus rapide et que ça me demandait moins d'effort. Les seules fois où j'utilise un stylo, c'est pour remplir de la paperasse totalement inintéressante, des chèques ou mes cahiers de transmission sur un coin de table, aussi rapidement que possible.
Néanmoins, j'aime toujours le geste. Le bruit de la plume qui gratte le papier, la sensation d'apaisement, la concentration de former une jolie typographie.
Cela fait des années que j'ai envie de me lancer dans la calligraphie. J'ai peur que ce ne soit trop compliqué, que je ne sois toujours pas assez soigneuse, de dépenser mon temps et mon argent dans un nouveau passe-temps qui ne "servira à rien" comme dirait ma mère.
Mais heureusement pour moi Pinterest regorge de documentation.
Et j'ai toujours mon vieux stylo plume.
Alors en attendant d'investir dans un matériel plus prometteur, je fais des lignes d'écriture, en même temps que mon fils.
Cela fait des semaines que ça dure, des semaines que je ne sors pas la tête de l'eau et j'ignore toujours si c'est grave ou pas.
Je cherche mes mots, je perds la mémoire, j'ai de plus en plus de mal à me concentrer.
Je suis fatiguée, en permanence, même quand je dors bien (ce qui est rare). Je fais des siestes de plusieurs heures et il me faut du temps pour en émerger.
Je me donne de violents coup de pied au cul pour faire les gestes les plus simples : me laver, m'habiller, préparer à manger.
J'ai mal au ventre, tout le temps.
Je n'ai plus envie de rien, même pas des choses qui me faisaient plaisir.
Je me goinfre ou - au contraire - je passe un certain temps sans avoir faim et je me force pour manger.
J'ai l'impression d'être nulle, partout, tout le temps.
J'ai l'impression d'être seule aussi, d'un grand vide, d'être au fond d'un trou et de regarder les autres aller et venir au dessus de ma tête.
J'ai des pensées noires, violentes, extrêmes.
La dernière fois que ça m'est arrivé, j'ai fini aux urgences psychiatriques, dont je suis sortie avec un diagnostique d'anxiété et d'un début de burn out, avec une ordonnance d’anxiolytiques pour plusieurs mois.
Seulement aujourd'hui, si je vais voir quelqu'un, j'ai peur d'être arrêtée et de perdre ma prime de présentéïsme (oui, on en est là).
Pourtant "il n'y a pas de raison".
C'est vrai, j'ai tout pour être heureuse. Je viens d'obtenir ma demande de titularisation. J'ai un peu d'argent de côté (suffisamment pour voir venir les frais de la nounou qui vient de me lâcher). J'ai un chéri charmant, une meilleure amie adorable, un fils exceptionnel. Je viens de déménager dans un palace dont j'arrive (presque) à m'occuper (enfin, pas d'après ma mère).
Mais je n'y arrive plus. Je ne m'en sors plus. La moindre contrariété me recouvre toute entière, me transperce comme si elle allait me tuer. Je ne parviens plus à éprouver de la joie, ou alors de manière extrêmement fugace. Je n'ai plus de patience, je n'ai plus de joie de vivre, j'arrive à peine à me réjouir des événements sympas qui m'arrivent ou qui m'attendent.
J'ai l'impression que personne ne sait, que personne ne voit ou que tout le monde s'en fout (ce qui est injuste pour mes proches, je le sais, pardon mes chéris). Je sais que je deviens un poids, que je ne suis pas drôle, que ça doit être fatigant d'être auprès de quelqu'un qui transpire la négativité sans arrêt. Je déteste être cette personne là.
Je n'ai qu'une envie, me foutre sous la couette et ne plus parler à personne.
Ce n'est pas une solution, je le sais.
Alors je me fais violence.
Pour me lever. Pour aller à l'école. Pour aller au travail.
J'espère que la semaine de vacances qui m'attend va me permettre de ne pas sombrer trop profondément, qu'elle sera une pause suffisamment longue pour recharger mes batteries, même si j'ai l'impression qu'il me faudrait des mois sans contrariété pour y arriver (ce qui est totalement impossible).
Cet article n'a aucun but, n'est le fruit d'aucun calcul. C'est juste pour poser des mots sur ce qui me ronge et expliquer peut être mon comportement aux gens qui me suivent. J'ai besoin de recul, de trouver un nouveau souffle, une nouvelle arme pour affronter la vie.
Il m'a fallu 1 an. Un peu plus, même, 1 an et trois mois. Depuis 1 an, le père de mon fils n'a pas donné de nouvelles et putain, ce que je lui en ai voulu ! C'était comme s'il ravivait la plaie de notre séparation. Depuis 3 ans, je m'évertuais à ramasser les morceaux de ma vie éparpillés un peu partout.
Une à une, j'ai franchie les étapes du deuil. Car oui, s'il n'est évidemment pas comparable à celui d'un décès, le processus d'une séparation peut s'apparenter à un deuil, surtout si, comme la mienne, la relation a duré une bonne décennie.
La colère, énormément, m'a submergée. Je l'ai accueillie avec bienveillance parce qu'elle faisait de moi une femme forte. Elle m'a fait tenir, elle m'a aidé à traverser les épreuves, à affronter la vie. J'ai détesté cet homme autant que j'avais pu l'aimer autrefois. Je l'ai haï, viscéralement, au point de ne plus supporter la moindre photo, la moindre évocation. Je fuyais autant que possible le moindre souvenir, la moindre chanson, le moindre lieu qui pouvait me le rappeler.
La peur, m'a attrapée au passage. Je me suis triturée le cerveau en imaginant les pires scénarii possibles, l'imaginant me faire des crasses qu'il ne m'a jamais faites. J'ai eu peur de la suite, peur de ne pas m'en tirer, peur de finir à la rue.
J'ai été triste, souvent. Je n'ai jamais pleuré sur notre rupture, j'avais déjà versé trop de larmes sur notre histoire, mais j'ai été triste pour mon fils. Triste de cette page vide sur le livret de famille, de cette seule signature sur le carnet de liaison, des explications que je dois donner encore et toujours et de toutes les questions qu'on me pose avec un air désolé.
J'ai même regretté, parfois. Et ça n'a fait qu'attiser à nouveau ma colère. Parce que je ne pouvais pas m'empêcher de toujours comparer mes histoires à celle que nous avions vécue. Il était ma seule référence, ma plus longue histoire. Je l'avais défendu corps et âme et je n'étais pas sûre de pouvoir retrouver cette certitude du "nous deux c'est différent" avec quelqu'un d'autre.
Puis j'ai accepté.
Puis j'ai pardonné (ou presque).
Je m'en suis rendue compte lors d'une séance de psy pour mon fils. J'avais peur qu'il ne souffre, de passer à côté de quelque chose, de le faire grandir avec un traumatisme et de réagir quand il serait trop tard.
J'ai été mal à l'aise quand il a fallu parler de ma vie devant une étrangère, aborder des sujets douloureux dont on ne parle pas d'habitude. ça m'a fait mal de l'entendre mentionner les hommes qui sont passés dans nos vies et d'entendre de la bouche de mon bébé ce que j'aurais préféré oublier.
Et puis, la psy m'a rassurée, m'a dit qu'il avait vécu des choses tristes, mais que ça ne l'empêchait pas de vivre, qu'il faisait face assez facilement. Elle m'a dit qu'il n'avait pas besoin d'une thérapie, qu'il gérait très bien tout seul et que les réponses que je lui apportais lui suffisaient.
Le soufflé de ma colère est retombé d'un coup. Cette séance a libéré mon esprit et la parole de mon fils. Depuis, il me parle régulièrement de son père sans tristesse et je lui réponds sans colère.
Aujourd'hui, il m'a dit qu'il était content qu'on ai gardé des photos de son géniteur, pour ne pas oublier à quoi il ressemblait. Je lui ai dit qu'il m'en restait encore plein, que je les gardais pour lui, et que s'il le souhaitait, je les imprimerais. Il a été emballé par l'idée.
En fouillant dans mon passé à la recherche des photos qui orneront bientôt son mur au dessus du planisphère Tip Toï, je me suis demandée pourquoi je n'avais pas fait ça avant. La réponse m'est venue toute seule : je n'étais pas prête. Jusque là, je ne pouvais pas supporter de le voir ainsi sous mes yeux tous les jours.
Mais aujourd'hui, j'ai épluché mes albums photos sans le moindre sentiment. Ni haine, ni tristesse, ni nostalgie. J'ai regardé défiler les souvenirs d'un oeil bienveillant, choisissant de jolis clichés qui feraient plaisir à mon fils.
J'ai senti, au plus profond de moi, que j'étais enfin prête à passer à autre chose.
Définitivement.
Mon fils et moi allons de l'avant, dans cette petite famille atypique que nous nous sommes construite. Mon garçon est formidable, il grandit merveilleusement, m'étonne chaque jour, me fait rire et gonfle mon coeur de bonheur.
Je me sens plus légère. Je me suis pardonné d'avoir choisi cette voie et ce père pour mon enfant. Je me suis pardonné d'avoir fracassé nos vies en voulant vivre la mienne. J'arrête enfin de porter le poids de la culpabilité qui me dévorait depuis 6 ans.
Le puzzle de ma vie ressemble enfin à quelque chose. Le visage du géniteur de mon fils en fait partie mais quelque part au fond, en décor, comme un personnage secondaire qui n'a fait que passer. Il n'est pas important, il n'est plus important. Et son absence ne l'est plus non plus.
Cela fait déjà plus d'un an que je vis ici, au milieu de cette immense ville, moi qui ai passé 10 années de ma vie en plein coeur de la campagne ou dans de petites villes de province.
Je m'y suis faite.
A la circulation, aux gens qui font n'importe quoi et sans prévenir, aux bus qui se prennent pour les rois du monde, aux conducteurs qui se garent n'importe où - que ça gène ou pas - à devoir manoeuvrer pour éviter les camions de livraison, aux cyclistes, aux piétons...
Je me suis résignée à mettre presque autant de temps en voiture ou en bus qu'à pied, à faire trois fois le tour du quartier pour faire juste une petite course parce que je ne trouve pas à garer, aux petites rues à sens unique, au manque de visibilité, à freiner en urgence à tout moment. Je me suis habituée à quitter la ville pour faire mes courses parce que c'est plus pratique.
Mais je me suis aussi habituée à tout avoir sur place, à pouvoir me faire livrer quelle que soit l'heure (ou presque), à ne plus m'inquiéter de la neige, du verglas, des gilets jaunes, des grèves... puisque je peux tout faire à pied (même si c'est compliqué). Mon fils fait au moins 4 sorties par mois dans plein de musées, expositions, théâtre, cinéma, conservatoire, opéra et c'est presque toujours gratuit. C'est une chance pour lui.
Mais il y a une chose à laquelle je ne m'habitue pas, c'est le bruit.
Je vis à l'entrée d'une voie rapide et, malgré les doubles vitrages, il y a toujours du bruit. Que ce soient les voisins, les fêtes, les portes qui claquent, les sirènes de pompiers, des ambulances ou du SAMU, les hélicoptères - plusieurs fois par jour ou par nuit - les klaxons, les motos... à la maison ce n'est jamais silencieux.
Cela ne me dérange pas, j'aime vivre dans le bruit, la musique et la télévision, pour m'empêcher de penser.
Mais en journée cela continue, les bruits de la ville occultant presque entièrement ceux de la vie. Je n'entends plus le vent, les oiseaux, la nature.
Je ne sens pas l'odeur du printemps qui se réveille ou de l'hiver dur et sec. Je ne sens presque plus l'odeur de la pluie et de la terre mouillée. Je ne sens plus l'odeur du colza ou du blé et je n'éternue plus au moment des moissons. Je ne croise plus de tracteurs ni de moissonneuses batteuses, je ne vis plus au rythme des saisons.
Mon regard ne peut plus s'échapper jusqu'à la ligne d'horizon, sans cesse arrêté par les immeubles et les monuments, le gris du ciel ou la lumière artificielle.
Petit à petit, mes sens sont occultés par la ville, engloutis dans son ronronnement intense.
Cela fait des lustres que je n'ai pas pu m'échapper, à cause de la vie, de problèmes de voiture et du manque de temps.
Mais, comme tous ces urbains qui se jettent sur l'autoroute dès le vendredi soir, je comprends ce besoin d'évasion.
Malgré mon enfance en banlieue, je suis une fille de la terre et de la mer. J'ai besoin de liberté... et de silence.
Comme chaque année, il est temps de faire les articles du blog. Evidemment, ils s'atténuent de plus en plus puisque j'ai pratiquement arrêté mais j'espère en avoir suffisamment pour faire un bilan convenable ! C'est parti !
En janvier :
- Je te parlais de cet album qui m'avait sauvé du harcèlement scolaire.
- J'ai dit adieu à Mustela et je n'ai pas craqué de l'année !
J'avais aussi écrit un article sur le Barbu, mais la vie faisant, il se trouve que nous ne sommes plus ensembles aujourd'hui. Je ne l'effacerai pas, il fait partie de ma vie, mais il n'est plus d'actualité :)
En mars :
- Après avoir renversé un motard, il a fallu que je reprenne la voiture...
En avril :
- le reliquaire du coeur d'Anne de Bretagne a été volé (et fort heureusement retrouvé depuis)
- J'ai avancé dans ma vie. Je n'en parles pas beaucoup sur les réseaux sociaux, parce que je préfère faire différemment cette fois ci. Je prends mon temps, je garde ça pour moi, mais je suis bien :)
- J'ai eu la poisse (et ça ne s'est pas vraiment arrêté depuis)
Toi qui ne donne pas de nouvelles depuis 1 an et qui n'a pas vu ton fils depuis plus de temps encore. Toi qui as disparu de la circulation sans sommation, sans dispute, sans mot d'adieu, juste comme ça, du jour au lendemain.
Je ne t'en veux pas d'avoir pris la fuite, tu sais. Je sais pourquoi tu l'as fait, je savais quel risque je prenais en tombant enceinte, même si cet enfant nous l'avons fait à 2, d'un commun accord, et que je suis tombée de haut en me rendant compte que tu n'assumerais pas cette grossesse.
Je m'en suis beaucoup voulue de t'avoir choisi comme père pour notre fils et de t'avoir tout donné pendant 10 ans. Je suis convaincue que cette histoire m'empêchera à tout jamais de faire à nouveau confiance à un homme et, pire encore, je pense qu'elle me dissuadera de faire un autre enfant, tant j'ai peur de me retrouver encore seule. C'est dur d'élever un enfant seule, tu sais ? C'est dur financièrement, c'est dur physiquement et plus que tout, c'est dur psychologiquement.
Mais, contrairement à toi (enfin, je crois, vu que tu ne lui adresse même plus la parole), je ne regrette pas. Notre fils est la plus belle chose qui soit arrivée dans ma vie et ma plus belle réussite. Evidemment, mes parents y sont pour beaucoup parce qu'il passe beaucoup de temps avec eux, mais quand même, j'ai joué mon rôle dans son éducation et, jusqu'ici, j'ai pas trop mal réussi.
Et c'est surtout pour ça que je t'en veux, tu sais ?
Tu ne connais pas ton fils.
Tu ne sais pas quelle taille ni quel poids il fait. Tu ne sais pas qu'il dessine comme un pied, comme moi, mais qu'il a une passion pour le fromage, comme toi. Tu ne sais pas qu'il déteste ma couleur préférée. Tu ne sais pas qu'il a des goûts musicaux aussi étranges que les miens et qu'il a si bien chanté à la chorale de l'école l'année dernière.
Tu ne sais pas que c'est un enfant courageux, capable de marcher plus de 10 kilomètres sans ciller, mais qu'il est souple comme une planche à pain, comme moi. Tu ne sais pas ce qu'il veut faire plus tard. Tu ne sais pas ce qu'il a commandé au Père Noël, et crois-moi ça vaut le détour parce que c'est surprenant. Tu ne sais pas qu'il adore imiter Dingo et que ça me rend dingue. Tu ne sais pas qu'il est fan de Monstres & Compagnie, et qu'il est triste parce que Netflix l'a supprimé.
Tu ne connais pas le nom de sa maîtresse, le prénom de ses copains, ni de sa nounou. Tu ne sais pas qu'il a déjà perdu une dent et qu'une autre bouge déjà. Tu ne sais pas qu'il avait peur de l'eau mais qu'il nage presque maintenant. Tu ne sais pas qu'il a le vertige comme moi, et qu'il a peur des manèges tant qu'il n'est pas dedans.
Tu ne sais pas à quel point il est gentil, à quel point il veut aider son prochain et qu'il se soucie de ce que je peux penser. Tu ne sais pas qu'il regarde le prix des bonbons pour savoir si je peux lui payer et qu'il partage toujours sa nourriture avec moi, même quand je ne lui demandes rien. Tu ne sais pas comment il m'a remercié de lui changer ses draps quand il a vomi pendant la nuit ni comme il s'excuse d'être malade alors qu'il n'y est pour rien. Tu ne sais pas comment il me laisse faire la sieste quand je suis fatiguée et qu'il vient me caresser les cheveux quand j'ai une migraine.
Tu ne sais pas à quel point il peut être bavard, et comme il ne supporte pas que je réponde par onomatopées.
Tu ne sais pas combien il peut être timide et en même temps combien il peut charmer les gens par ses remarques souvent pleines de vérité.
Tu ne sais pas qu'il t'appelle "Papa S." qu'il garde de toi le souvenir d'un homme formidable qui l'a emmené au Parc Astérix mais qu'il a préféré donner son cadeau de la fête des pères à mon Ex, en me disant "c'est pas que je l'aime pas, mais je ne le vois jamais !".
Notre fils est extraordinaire, il est drôle, il est malin, il est tendre, il est calme - trop calme même - et il est grand et fort.
Mon coeur déborde d'amour en permanence pour lui et c'est pour ça que je t'en veux, parce que toi, tu ne vois pas tout ça et parce que toi, tu ne l'aimes pas.
Tu me diras sûrement le contraire, mais pour un homme qui ne supportait pas de ne pas entendre sa fille respirer la nuit, tu marque clairement la différence entre tes deux enfants.
Nos histoires d'adultes ne concernent que nous.
Mais mon fils mérite d'être aimé, choyé, protégé.
Même si je travaille en horaires décalés et qu'il doit suivre un rythme qui n'est pas de son âge, je me soucie de son bien être, je ferai toujours passer ses besoins avant les miens, quitte à ne plus avoir de vie sociale, je m'en fous.
Parce que c'est mon fils et que je l'aime, bien plus que je ne t'ai jamais aimé, même si ça t'as toujours horripilé. Il a besoin de moi, toi tu es grand, tu as 43 ans, je penses que tu es capable de t'assumer, de te regarder devant la glace et de voir l'homme que tu es vraiment.
Quoi qu'il en soit, si un jour tu te rappelles que tu as un fils et que tu souhaites voir quel ange merveilleux c'est, ce sera à toi de faire la démarche, de te faire pardonner et de l'amadouer et je pense que ce ne sera pas facile. Mon fils n'est pas bête, l'excuse du "il a beaucoup de travail" n'a pas fonctionné longtemps. Et, comme avec moi, il te faudra bien plus qu'un chèque pour acquérir son affection.
L'amour ne s'achète pas, il se gagne à force d'abnégation, de gestes, de nuits passées à ramasser le vomi, de câlins dans le canapé, de sapins décorés ensemble, de sorties à la foire st Romain ou à la ferme pédagogique, d'escales à la mer, de crêpes faites à 4 mains et de bonheurs partagés.
Beaucoup de gens n'ont pas la chance que tu as d'avoir eu un enfant en bonne santé. Je le vois chaque jour.
Je remercie le Ciel en permanence pour ça.
J'espère qu'un jour tu mesureras l'ampleur de tes erreurs et que tu auras au moins des regrets.
Depuis presque toujours, je suis une poissarde. C'est un fait, je l'ai accepté depuis ma plus tendre enfance, j'essaie de le prendre à la rigolade parce que c'est mon karma. Je sais qu'il y a bien pire ailleurs, que vous avez sans doute des milliers d'exemples à me fournir qui sont pires que les miens et je suis désolée pour vous. Vous ne trouvez pas ça fatigant ? Personnellement, ça m'arrive par grappes et je ne sais jamais quand ça va s'arrêter. J'en deviens particulièrement méfiante, au point de redouter toutes les lettres dans ma boite au lettre et à craindre le pire.
Par exemple, je ne demande plus aucune aide sociale parce que la dernière fois que j'ai touché les APL, à la fin de l'année la CAF m'a demandé d'en rembourser l'intégralité parce que finalement je n'y avais pas droit. Je ne profite pas de mon CE parce que si tu ne déclare pas proprement tes avantages aux impôts tu peux te prendre un contrôle fiscal et je sais pertinemment que ça va me tomber dessus. Je me fais tout le temps contrôler par les flics en voiture, même si je n'ai rien fait, juste comme ça. Je prends le bus rarement et 1 fois sur 2 il y a les contrôleurs. Ce ne sont que des coïncidences mais je ne sais pas comment font les gens pour frauder ou profiter indûment des aides sociales parce que pour moi c'est parfaitement impossible !
Comme je le disais, ce n'est pas grave, mais c'est pénible.
Par exemple, la voiture :
J'ai acheté une voiture d'occasion (4 ans, 40 000 kilomètres). Dans les 6 mois elle est tombée en panne et citroën a refusé de faire les réparations parce que j'avais attendu trop longtemps pour faire l'entretien. Quand j'ai voulu changer les pneus, j'ai appris que la taille de mes pneus était rarissime et qu'ils coûtaient 100 € pièce. Mon turbo est mort. Mon système d'injection est mort. Mon système anti-pollution est mort. Et je ne parle même pas de toutes les fois où je me suis fait rentrer dedans/rayé la voiture alors que je n'avais rien demandé.
Cette année : ma voiture est tombée en panne et j'ai du lâcher 800 € pour la faire réparer. Tout ça pour qu'elle retombe en panne, définitivement, il y a plus d'un mois. Aucune casse ne voulait la reprendre parce que personne n'achète ce modèle. J'ai fini par la refourguer pour 300 €. J'ai commandé une voiture neuve en me disant "c'est du neuf, je vais être tranquille". Sauf qu'en fait elle est coincée chez le concessionnaire pour défaut d'airbags pour une durée indéterminée.
Maintenant, la machine à laver :
Ma bonne vieille machine, qui avait 10 ans, est malheureusement tombée en panne. Quand j'ai déménagé, j'avais une machine à laver de moins de 5 ans dans l'appartement, pas besoin d'en acheter, super ! Sauf qu'elle est tombée en panne la première année. J'ai du avancer l'argent de la réparation (250 €) que mon proprio a remboursé (mais ça m'a mis dans la merde financière quand même). 15 jours après, elle est retombée en panne (mais une autre panne sinon c'est pas drôle) et mon proprio veut que je vérifie d'où ça vient avant de la faire réparer. (LOL)
Je te passe la perte de mes lunettes de soleil à ma vue sans lesquelles je ne suis plus rien, les poux, les chats qui viennent de ruiner le papier peint de ma salle de bain (la seule pièce avec les toilettes où j'ai du papier peint) (pourquoi alors que ça fait 1 an et demi qu'on vit ici ils me font ça maintenant je n'en sais rien), la xbox one que j'ai eu pour mon anniversaire mais à laquelle je ne peux pas jouer parce que ma télé est trop vieille...
Voilà, je sais, c'est con, mais j'en ai marre d'être maraboutée sérieux.
Qui que soit le mage vaudou qui me persécute, j'ai compris, c'est bon.
En fait, je vais être redondante aujourd'hui. Oui, parce que j'ai déjà fait un article sur le sujet en 2012. Mais 6 ans plus tard, rien n'a changé. A chaque fois que je parle avec des amis, ça me saute au visage.
En effet, quand tu as entre 30 et 40 ans, la pression sociale devient très insistante. Dans l'inconscient collectif, à 35 ans tu dois être marié ou au moins installé avec quelqu'un, avoir 1,8 enfants, devenir propriétaire, faire des voyages instagramables, avoir un travail stable. Je ne parle même pas du fait que, si tu es une femme, tu dois tenir ton intérieur à la perfection, t'investir dans la vie des parents d'élèves, faire du sport plusieurs fois par semaine et avoir une vie sociale épanouie.
Je suis très admirative des personnes qui ont rempli tous ces critères et plus encore de ceux qui sont parfaitement heureux et épanouis de cette façon. J'aime les gens heureux.
Mais le problème avec cette pression sociale, au delà du fait qu'elle te fais te sentir complètement con quand tu te compare aux autres, c'est qu'en plus elle pousse de plus en plus de gens à faire des choix incohérents juste pour te sentir un peu plus dans le moule.
La plupart des célibataires sans enfants dans cette tranche d'âge que j'ai pu rencontrer a au moins une fois dans sa vie pris des décisions complètement stupides juste pour se sentir "comme tout le monde". Ce qui est amusant, c'est que même sur Tinder, réseau social connu pour être en général réservé aux rencontres d'un soir, j'ai trouvé pas mal de mecs qui voulaient absolument s'installer rapidement avec une nana qu'ils connaissaient à peine juste parce qu'ils n'en pouvaient plus d'être encore célibataires à leur âge. D'ailleurs, j'en suis arrivée à la conclusion qu'il n'existe plus que 2 styles de mec : ceux qui veulent coucher tout de suite, et ceux qui veulent s'installer tout de suite. Entre les deux, c'est le néant (ou presque) (bon d'accord, j'exagère mais c'est mon blog je fais ce que je veux).
Sauf que voilà, on peut avoir 30 ans et ne pas vouloir d'enfants. On peut avoir 30 ans et ne pas avoir d'argent de côté. On peut être locataire, ne pas avoir d'animal de compagnie ou de voiture. On peut avoir envie de voyager plusieurs mois ou pas du tout. On peut aimer faire la fête toutes les semaines ou geeker tous les soirs. On peut être célibataire et vouloir le rester, enchaîner les histoires courtes ou être avec quelqu'un et vouloir prendre son temps.
Pour ma part, 6 ans plus tard, je n'ai toujours pas réussi à rentrer dans le moule. J'ai essayé, pourtant. Mais ça n'était pas pour moi.
Ai-je pour autant raté ma vie ? J'ai fait des trucs passionnants et j'ai des rêves plein la tête. J'ai l'impression de rajeunir de jour en jour et que la vie à encore beaucoup à m'apporter. Je ne dis pas que ma vie est meilleure que celle des autres, bien sûr que non, mais elle me correspond, à moi et à moi seule. Peut-être que je finirai par m'installer avec quelqu'un ou peut-être pas. Peut-être que je ferai un autre enfant ou peut-être pas. Peut-être que je me marierai un jour ou peut-être jamais. Je ne me ferme à rien mais je sais aussi qu'on peut être heureux, autrement.
Je sais que c'est con, mais j'ai toujours eu une affection toute particulière pour mes voitures. Quand j'étais petite, je leur parlais et maintenant je n'ai pas beaucoup changé. Il y a 5 ans je disais Adieu à Titine, ma première voiture. Aujourd'hui, j'ai dit Adieu à Simone.
Cette voiture, une voiture de maman, la première voiture à mon nom, a été ma compagne pendant 5 ans et 165 000 kilomètres. J'y ai vécu plein d'aventures, d'émotions, de craintes et d'angoisses, aussi. Le Nord (jusqu'en Belgique), le Sud, l'Est, l'Ouest, la mer et la montagne, les petites routes de campagne et les grandes autoroutes. Je me suis embourbée, j'ai crevé, j'ai frotté, j'ai tapé, j'ai glissé, j'ai eu des frayeurs et j'ai beaucoup chanté et rigolé.
Ma voiture, ce n'est pas seulement un moyen de transport. C'est un nid à souvenirs. C'est un endroit où on tisse des liens, familiaux, amicaux, amoureux. C'est un endroit où je me réfugie quand je suis pas bien, quand je suis sur le point de craquer, quand j'ai besoin d'être seule, de me vider la tête et le coeur. Une voiture c'est un exutoire et ça me donne l'impression d'être libre.
En vidant Simone ce matin, j'ai retrouvé plein de vestiges de ma vie de maman de bébé et j'ai eu une grosse bouffée de nostalgie. En signant les papiers de cession au mec super baraqué de la casse, j'ai failli m'écrouler en larmes. Parce que, malgré ma volonté de me débarrasser de ce gros tas de ferrailles, c'est une partie de ma vie qui est partie avec lui.
C'est marrant comme parfois, on a l'impression de vivre des événements sans vraiment être là, comme si notre esprit avait besoin de souvenirs pour digérer l'information.
Il y a 6 ans, je te parlais ici de l'accident auquel j'avais assisté et qui m'avait profondément marquée. Il ne m'a jamais quitté, depuis. Chaque année, à la date anniversaire - le 28 juillet - je repense aux victimes. A d'autres moments aussi, quand j'ai eu mon fils, quand j'ai passé ma formation de premiers secours, dès que je vois un gilet jaune sur le bord de la route... Cette année, n'y tenant plus, j'ai lancé une bouteille à la mer.
A l'époque, quand j'avais fait ma déposition, les gendarmes m'avaient parlé de famille dans un patelin de Normandie proche du miens. Je n'avais jamais osé pousser les recherches, laissant la famille à son deuil, gérant le miens comme je le pouvais. Cette année, j'ai finalement décidé de faire une demande publique sur un groupe Facebook d'Evreux, en me disant que, peut-être, si quelqu'un voyait mon message, j'arriverais à avoir des informations, à discuter, à exorciser ce que j'avais vécu.
J'ai reçu beaucoup d'encouragements, quelques insultes, aussi, de personnes qui m'accusaient de rouvrir des plaies à peine refermées dans la famille. C'est peut-être vrai, c'était peut-être égoïste de ma part mais, en discutant avec les amies avec qui j'étais à l'époque, j'ai découvert que je n'étais pas la seule à n'avoir pas pu tourner la page. Nous sommes toutes restées coincées sur cette route entre Rennes et Quimper.
Quelques jours plus tard, une personne m'a contactée pour me donner des informations qu'elle avait dégotée sur internet. J'avais enfin des noms, des âges. Cela m'a fait un effet incroyable. Comme si ces vies devenaient concrètes. Ce n'étaient pas que des victimes. Ce soir là, j'ai traîné des heures sur le net à voir sous mes yeux leurs vies s'étaler. Ils avaient des amis, des collègues, une carrière.
Grâce à ces recherches, nous avions un lieu de sépulture. Nous nous y sommes rendues hier, toutes ensembles, réunies pour la première fois depuis 6 ans. Quand nous sommes arrivées dans ce cimetière de région parisienne, entouré d'arbre, nous avons été choquées par la taille de l'endroit. Nous pensions trouver assez facilement, mais le lieu était immense. Enfin, nous avons trouvé le gardien et il m'a dit qu'il pourrait peut-être retrouver leurs noms dans ses registres.
"En 2012, vous dites ?"
"Oui, ils étaient 4, sous le nom X ou Y, peut-être les deux".
" Une famille ? Celle qui est décédée dans un accident de voiture ?"
"Oui, ce sont eux".
"La voiture a pris feu, c'est ça ? Je l'avais vu à la télévision".
C'était dingue, comme si tout devenait réel. Il nous a emmenées devant la grande pierre tombale en granit rose, gravée d'un coeur et d'une colombe, où leurs 4 noms étaient inscrits en lettre dorées. 4 noms, 4 dates de naissance et la même date de décès.
Nous avons revécu tout l'accident ensemble. Revoyant des scènes, revivant des sensations, ressassant cette impuissance et cette culpabilité de ne rien avoir pu faire. C'était terrible. Et puis, à côté de ça, nous avons eu du mal à trouver de la place pour poser notre modeste pot de fleur. La tombe entière était recouverte de plantes et de petits cailloux posés en forme de coeur. Ils n'étaient pas seuls, perdus dans ce cimetière, ils étaient visités, reconnus, aimés.
J'ai proposé à mes copines de boire un verre après, parce que ma gorge était serrée et que j'aurais eu du mal à reprendre la route sitôt après. On s'est posées en terrasse, on a échangé des souvenirs, on a pas mal rigolé.
La vie a repris son cours.
Je n'ai pas oublié, je n'oublierai jamais. J'ai changé de vie pour me consacrer aux autres et c'est en partie parce que je crevais de rester inutile, sans pouvoir changer ce qui s'était passé. Ils feront toujours partie de moi.
L. aurait 10 ans. W. 8 ans. R. n'avait que 5 ans de plus que moi. F. se consacrait au développement de la culture en Bretagne.
Nous avions des points communs. Nous aurions pu être amis.
Comme une amie, j'aurais toujours une pensée pour eux, pour cette sépulture rose, au milieu des arbres, fleurie par leurs proches.
Je n'arrive pas à croire que tu partages ma vie depuis déjà 5 ans.
J'ai du mal à repenser à ce petit être lové dans mon cou quand je vois le jeune garçon que tu es devenu aujourd'hui.
Quand je vois mes patients chaque jour, je ne réalise pas que tu faisais toi aussi cette taille, autrefois.
J'ai un peu bousculé ton équilibre ces dernières années. Tu as vécu 2 déménagements, 2 écoles, 2 maîtresses et des tas de copains à te refaire.
Quand tu es rentré en maternelle, tu étais asocial, tu frappais, tu mordais pour exprimer ta peur, ta rage et ta frustration face à tous ces changements.
Aujourd'hui tu es un formidable moyen, plus tout à fait petit, mais pas encore tout à fait grand. Tu as l'air tellement bien dans tes baskets, malgré tout ce que tu as vécu, que ça tient du miracle (et un peu de la psy du boulot, aussi). Tu commences à avoir ta personnalité, des idées plus tranchées sur le monde. J'aime découvrir les goûts que nous avons en commun et ceux qui nous séparent.
J'aime ta sensibilité, ta curiosité, j'aime quand tu me demandes ce que veulent dire les paroles d'une chanson et que tu es surpris, parce que dans ton imaginaire tu avais déjà construit tout un scénario.
Tu n'es plus le petit garçon en colère, tu es un enfant plein de vie et plein de joie.
Tu me rends fière de toi en permanence, quand tu choisis un nouvel élève qui ne parle pas français comme meilleur ami, quand tu vas vers les personnes âgées ou les handicapées avec un regard tendre et ouvert. Quand tu comprends la valeur des choses, que tu renonces à certains plaisirs de ton âge parce que tu sais que je n'ai pas les moyens de te les offrir et que tu me dis que ce n'est pas grave maman, que c'est pas important.
J'ai de nombreux remords, quelques regrets, mais toi, tu seras toujours la meilleure chose qui me soit jamais arrivée.
Bien sûr, comme toutes les mauvaises mères, j'apprécie les week-end où tu es chez tes grands parents pour pouvoir dormir et ne penser qu'à moi, même quand je travaille.
Mais tu me manques aussi. J'aime sentir ton odeur, j'aime ta petite voix fluette et j'aime tes bras autour de mon cou. J'aime quand tu me racontes ta journée et quand tu me demandes ce que moi j'ai fait de la mienne.
Je te promets qu'à partir de maintenant, je vais travailler dur pour t'offrir une vie stable et sereine, une vie d'enfant, une vie de famille. Et je te garantie que le Barbu y travaille chaque jour, lui aussi.
Nous t'aimons, mon fils, plus fort que les étoiles, plus fort que la Lune, plus fort que Saturne.
ça fait 3 ans maintenant que je fréquente le milieu médical et j'avoue que s'il y a un truc que j'aime bien, même si c'est pas glamour, c'est la tenue.
C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai su que je ne pourrais pas bosser ailleurs qu'à l'hôpital.
J'aime le rituel d'avant le quart qui permet de se mettre dans l'ambiance.
J'aime pouvoir m'habiller comme je veux, aussi excentrique que ce soit, parce que personne ne peut me juger sur ma tenue une fois que je suis au boulot.
J'enfile mon habit de lumière et j'appartiens à la grande famille des paramédicaux. On se reconnait tous d'un seul coup d'oeil et on se tutoie tous, même si on ne s'est jamais vus avant (c'est d'ailleurs comme ça que j'ai tutoyé d'emblée un pompier que j'ai tenté d'assister sur un accident, alors que j'étais en civil et qu'on ne s'était jamais vus, il a du me prendre pour une dingue).
Les gens viennent nous demander des conseils, même si on n'est pas du tout du service et pas du tout compétents pour leurs problèmes.
On est le point d'ancrage, le repère, on est l'Hôpital. Pour le meilleur et pour le pire.
A la maison, je pleures devant des vidéos Facebook, je ne supporte pas de voir des prises de sang en gros plan ou des films trop gores. Et je ne vous raconte même pas si un bras ou une jambe forment un angle bizarre. Brrr.
Une fois que j'ai enfilé ma tenue, ça ne me touche plus. Je mets mon masque de soignante. Je peux assister à une prise de sang, un changement de pansement de cathé, un cathé ombilical retiré, une ponction lombaire... Ce sont des cas médicaux. Et plus un cas est compliqué plus c'est chouette. J'ai sauté de joie pour ma première ponction lombaire tellement j'étais contente d'assister à ça.
Pire, dès qu'on commence à être touchées par un cas, ça fini dans un horrible humour bien bien noir. Mais du genre que je n'oserais même pas répéter en public tellement c'est horrible. Mais ça nous fait du bien.
Alors parfois on nous trouve insensibles. Inhumains même.
ça ne nous empêche pas de pleurer parfois. D'essuyer une larme discrètement quand on quitte une chambre. De pleurer franchement cachés dans un office. De se tordre le bide une fois à la maison pour un cas qui nous tracasse. Mais on nous a appris que ça n'était pas professionnel. On nous a appris qu'il faut être ouvert vers son patient, laisser nos problèmes et nos émotions au placard pour que l'enfant ne les capte pas.
Alors en enfilant cette blouse, on laisse tout dans le vestiaire.
Les peurs, les craintes, les doutes, la tristesse, le stress.
On enfile le bas, le haut, on glisse les stylos 4 couleurs, le badge et les ciseaux dans la poche et pouf, on est quelqu'un d'autre.
Et le soir, pareil, on jette la tenue au sale et les saletés de la journée avec.
Bonjour, je m'appelle Prune, j'ai 32 ans, j'enfile un pyjama moche et pour moi, il a des pouvoirs magiques.
Il y a des nouvelles qui passent inaperçues et qui parfois nous bouleversent au plus haut point.
J'ai vu passer celle-là par hasard, elle m'a révoltée et j'en ai eu les larmes aux yeux.
On a volé le reliquaire Anne de Bretagne à Nantes.
Anne de Bretagne est un personnage que j'aime énormément depuis des années. Je l'ai découvert, comme souvent, par Tri Yann. Parce qu'ils ont écrit l'un de leur plus grand succès Si Mort à Mors à son sujet. Et parce qu'ils ont participé à l'Opéra Rock Anne de Bretagne d'Alan Simon il y a des années.
Je me suis alors penchée sur sa vie et j'ai été passionnée par sa force et ses convictions.
Elle est connue pour avoir été mariée à deux rois de France, Charles VIII et Louis XII. Reine de France, elle n'en est pas moins restée Duchesse de Bretagne. Elle s'est battue toute sa vie pour garder la main sur son Duché. Ses décisions politiques ont été toute sa vie tournées vers l'ouest.
Elle est née dans le château des Ducs de Bretagne à Nantes, ce qui a toujours nourrit mon étonnement quant à l'absence de la Loire-Atlantique dans la Bretagne, compte tenu de son histoire, mais c'est un autre débat.
A mon âge, elle avait déjà été mariée deux fois, eu de nombreuses fausses couches, accouché 8 fois et 6 de ses enfants étaient morts.
Elle est morte à 36 ans.
Son corps, en tant que Reine de France, a été inhumé à la Basilique de St Denis où il a sans doute été pillé à la Révolution.
Mais son coeur, à sa demande, a été remis en Bretagne, à Nantes. Parce que même Reine, malgré ses richesses, malgré ses nombreux mariages politiques, ses deuils, ses joies et ses peines, son coeur appartenait toujours à la Bretagne, tout comme le miens.
Le reliquaire qui contenait son coeur, son "petit vaisseau" sauvegardé tant bien que mal pendant des siècles, a aujourd'hui été volé. Et j'imagine qu'à l'heure actuelle, il a quitté la Bretagne. Pour la première fois depuis 1514, le coeur d'Anne a été arraché à la Bretagne qu'elle chérissait tant. En volant son coeur, j'ai l'impression que c'est un peu le miens qu'on a arraché à cette terre tant chérie.
Je ne peux rien faire, à part supplier les voleurs et prier pour qu'ils ne fassent pas fondre son reliquaire pour des raisons bassement mercantiles.
Au delà de l'aspect patrimonial et historique, ce sont les dernières volontés d'une grande dame qui ont été bafouées.
C'est ce qu'on dit toujours tu sais "quand on tombe de cheval, il faut remonter en selle tout de suite, sinon on n'ose plus après".
J'ai toujours suivi cet adage avec la conduite. J'ai déjà eu des accrochages, assisté à un accident terrifiant il y a 5 ans maintenant, qui m'a marqué à tout jamais, mais je suis toujours retournée derrière mon volant. Plus ou moins facilement, c'est vrai.
J'adore conduire. Depuis 8 ans que j'ai mon permis, j'ai du accumuler à peu près 200 000 kilomètres parcourus un peu partout. A la campagne, à la ville, sous la pluie, sous la neige, de la Bretagne à la Moselle en passant par les routes défoncées de Belgique... J'ai dormi dedans, j'ai donné des biberons dedans... j'ai même failli accoucher dedans parce que - contrairement à ce que j'entends souvent sur les femmes enceintes - je n'étais jamais aussi bien que dans ma voiture.
Mes voitures ont toujours un petit nom et elles font partie de moi, on vit des trucs ensembles, on à de vraies relations et quand je déprime, je prends ma voiture, je pars à l'aveugle en chantant à plein poumons et généralement ça va mieux après.
Et puis il y a 3 semaines environ, j'ai eu un accrochage. Et de ma faute pour une fois (oui, ne va pas croire, je ne suis pas si nulle que ça).
J'étais juste au bout de ma rue, arrêtée à un stop. J'ai regardé à gauche, j'ai regardé à droite, une fois, deux fois... un nouveau coup d'oeil à droite et je me suis avancée. Sauf que là, sur ma gauche, sortie de nulle part, j'ai vu une petite moto arriver, et je n'ai rien pu faire à part freiner et attendre le "boum". J'ai vu le gamin disparaître de mon champ de vision et je me suis dit qu'il était mort. J'ai cru que je l'avais tué.
Je ne me souviens pas trop de ce que j'ai dit, ça devait juste ressembler à un "putain !", je me souviens de mes mains tremblantes quand j'ai coupé le contact et de ce que je m'attendais à voir. Merde, je suis secouriste AFGSU, à deux pas de l'hôpital, et je vais devoir secourir un mec que j'ai moi-même tué.
En fait non, il allait bien. Il s'est relevé, il m'a dit que ça n'était pas grave, que ça arrivait, qu'il n'avait pas su géré son freinage. J'aurais presque préféré qu'il m'engueule, parce que je me sentais vraiment coupable. Il m'a dit qu'il avait juste mal aux tibias parce qu'il avait tapé le guidon.
Bordel, il a tapé le guidon avec ses jambes !
J'étais dans un état pas possible. J'ai bien sûr fait une insomnie (méthode Prune en action) en pensant au fait que j'avais failli le tuer, que ça se trouve il avait un hématome sous-dural sous son casque et qu'il allait mourir dans son sommeil (parano power !), à sa moto tordue, à mon rétro mort alors qu'il venait d'être changé et au malus que j'allais me prendre en pleine poire, juste quand j'avais réussi à faire baisser mon assurance. Mais il était vivant, bordel.
Et le pire dans tout ça, c'est que je n'ai pas pu reprendre la voiture après. Parce que Simone témoignait des signes de fatigue et qu'il a fallu que je la fasse immobiliser pendant 3 semaines.
Elle a fait peau neuve, mais quand je l'ai récupérée ce matin, j'ai demandé au Barbu d'être avec moi. Parce que je dois toujours passer par ma rue, j'ai pas le choix, et c'était la première fois que je devais reprendre ce stop.
Je ne te raconte même pas ma nervosité, ni le soupir que j'ai poussé quand j'ai avancé et qu'il ne s'est rien passé.
J'avais l'impression de ne plus connaître ma voiture, je ne trouvais plus le point de patinage, je n'anticipais plus ses réactions, j'avais peur de ne pas gérer son gabarit... j'étais vraiment terrifiée.
Mais quand on est sorti de la ville, je me suis lancée sur les routes de campagne plus vite qu'elle n'était allée depuis longtemps (en respectant les limitations hein, faut pas déconner) et j'ai pu doubler quelqu'un dans une côte. Si, je te jure.
C'était tellement kiffant que je hurlais comme une malade dans ma bagnole avec un sourire niais sur le visage, ce qui a fait levé les yeux au ciel au Barbu environ un million de fois.
L'angoisse est toujours là, elle le sera toujours. Ne serait-ce que lorsque ce mec a doublé sur une ligne blanche et qu'il a failli me rentrer en pleine tronche.
Cette voiture est un gouffre, je ne préfère même pas imaginer la quantité d'argent qu'elle me coûte tous les ans, parce que ça doit s'approcher du PIB d'un pays quelconque.
Mais bordel, j'aime toujours conduire, et j'aime toujours ma voiture.
Il y a un an je rencontrais ce grand barbu, un peu fâché avec les cédilles.
Il y a un an, je riais de moi en me disant que j'allais encore me planter lamentablement.
Il y a un an, je n'imaginais pas que j'en serais là, un an plus tard.
J'aime cet homme.
Je l'aime parce qu'il est beau et grand. Et surtout parce qu'il est barbu.
Je l'aime parce qu'il a de l'humour. Et qu'on arrive tous les deux à désamorcer une situation compliquée en disant une connerie.
Je l'aime parce qu'il est toujours là, toujours. Le soir quand je me couche et le matin quand je me lève. Même quand il aurait de bonnes raisons de ne pas être là.
Je l'aime parce qu'il me connait par coeur, dans les bons et surtout dans les mauvais moments, quand je suis malade, quand je suis horrible, quand j'ai envie de tuer tout le monde et quand je doute sur moi, sur nous, sur tout. Il me connait par coeur et il est toujours là.
Je l'aime parce qu'il a rempli un dossier pour mettre son appartement en location et qu'il a commencé à ramener ses affaires à la maison. Il se tape 100 bornes par jour pour être là. Et je sais (parce que je lui ai demandé 1000 fois) qu'il voudrait n'être nulle part ailleurs.
Je l'aime parce qu'il dit "notre fils" pour parler de Brugnon et que Brugnon l'appelle "mon papa" avant de se rappeler que ce n'est pas tout à fait vrai.
Je l'aime parce qu'il a une famille formidable, qui m'a accueillie comme si j'étais de la famille quand je n'avais pas l'impression de mériter ma place.
Je l'aime parce que sans le vouloir, rien que par sa présence, il a apaisé les tensions qu'il y avait entre ma mère et moi.
Je l'aime parce qu'il m'accompagne dès qu'il peut quand j'emmène Brugnon chez mes parents pour le week-end, quand on se tape 180 bornes dans la soirée, juste parce qu'il aime être avec moi.
Je l'aime parce qu'il ne joue pas les machos. Il me laisse conduire ma voiture parce que c'est MA voiture et il fait le ménage. Et il ne voit pas où est le problème.
Je l'aime quand il fait le petit déjeuner complet le dimanche parce que je lui demande. Et parce qu'il tire la couette sur moi quand je me couche pour être sûr que je n'attrape pas froid.
Je l'aime parce qu'il n'oublie jamais de me faire un bisou avant de dormir, avant de partir ou en arrivant.
Je l'aime parce qu'il porte tous les sacs quand on rentre des courses et quand il voit que je grimace à en porter un, il sort une 5ème main de sa manche pour le prendre.
Je l'aime parce que, grâce à lui, j'ai pu réaliser un rêve de petite fille et voir le haka en vrai (même si on a perdu).
Je l'aime parce qu'il n'arrête pas de hurler qu'il ne veut pas d'enfant, mais que si par hasard il y en a un qui se pointait, il serait là et il serait content.
Je l'aime parce qu'il prend tous mes problèmes, toutes mes angoisses, pour apaiser mes craintes, mais qu'il se garde bien de partager ses propres démons pour ne pas m'inquiéter (pas de bol, je connais sa tronche angoissée maintenant).
Je l'aime pour son humilité, pour sa tendresse, pour ses grands yeux rieurs et pour son addiction aux jeux vidéos.
Je l'aime quand il fait des rubik's cubes en moins d'une minute mais qu'il ne sait pas qui est Paul Bocuse.
Je l'aime parce que j'ai toujours l'impression que je ne le mérite pas et qu'il est beaucoup trop bien pour moi.
Je l'aime parce qu'il s'est battu, il a grappillé mon amour petit à petit, à force de patience, à force de tolérance et à force de persévérance. Sans me brusquer, sans me faire peur.
Je l'aime parce qu'il m'a acceptée toute entière, avec mes casseroles, mon coeur à rafistoler et le gamin que j'avais dans ma besace.
Je l'aime parce qu'il soulage toujours mon quotidien, que la vie est facile auprès de lui et qu'il la rend plus belle.
Je l'aime parce qu'il nous rend meilleur, qu'il nous rend heureux.
Je l'aime parce qu'il fait de nous une famille.
Il est mon partenaire, mon ami, mon compagnon, mon barbu.
Oui je sais, le titre est racoleur. Comme si un album pouvait sauter dans la Seine pour me sauver de la noyade. Oui mais voilà, en le réécoutant l'autre jour, il se trouve que ça m'a sauté aux yeux ou du moins, aux oreilles.
Il y a 20 ans (bordel) j'entrais au collège. Moi la gamine si différente des autres, j'entrais dans ce lieu sans pitié rempli d'adolescents aux codes vestimentaires et comportementaux qui m'échappaient totalement. Et pour la première fois de ma vie, en plus, j'étais séparée de ma meilleure amie de l'époque. J'ai passée l'année de 6ème en solitaire.
Les années se sont écoulées, plutôt bonnes en matière de notes mais catastrophiques en terme de relations sociales. J'ai eu honte de moi, j'ai pleuré, beaucoup. Ma mère s'est sacrifiée pour m'offrir des vêtements de marque en pensant que ça changerait quelque chose si je m'habillais "comme eux".
Aujourd'hui c'est enfin un phénomène de société reconnu et pris au sérieux.
Le harcellement scolaire.
Les brimades, les rires, les bousculades, les coups, les crachats.
Ce n'était pas normal. Mais à l'époque tout venait de moi, ça n'était que moi, moi l'intello coincée et gamine dans ma tête qui ne comprenais pas le monde dans lequel j'évoluais et qui n'arrivais pas à m'adapter aux autres.
Bref.
Au printemps 2001, je finissais ma 3ème avec, enfin, la perspective de changer d'établissement, de passer au lycée et d'être enfin tranquille (rassurez-vous ça a été le cas). Notre prof d'espagnol était absent et on nous a proposé une prof d'espagnole remplaçante.
Elle est arrivée dans la classe avec l'énorme radio-cassette de la classe (oui les enfants CASSETTE). Il y a eu quelques cris de ravissement dans la classe, c'était surtout l'occasion de glander pour la plupart d'entre eux.
Elle nous a dit qu'on allait étudier un texte. Elle nous a distribué des polycopiés qui sentaient l'alcool et elle a pressé le bouton play.
Et là j'ai été percutée.
C'était Manu Chao.
Et cet album c'était Clandestino.
Ce qui m'a frappé c'est qu'il renversait toutes les codes musicaux que je pouvais connaître. Pour moi la musique c'était une mélodie, une ou plusieurs voix, un texte, un refrain.
Manu est rentré là dedans comme un chien dans un jeu de quille. Avec lui ce ne sont pas les morceaux qui comptent. D'ailleurs, on ne peut plus s'en rendre compte maintenant, mais ses morceaux n'avaient ni début ni fin, ils s'enchainaient sur tout l'album. Un morceau de Manu Chao c'est un univers. Parfois une mélodie revient plusieurs fois. Parfois il aime un trait de cuivres qui va revenir en boucle. Il y ajoute des bouts d'un peu tout, des extraits de télévision, de radio, de son répondeur téléphonique et même les stations du métro madrilène.
Nous avons étudié Clandestino, l'histoire d'un clandestin appelé à traverser par le rêve occidental qui s'est perdu lui-même dans le détroit de Gibraltar...
Et j'ai surtout eu une révélation avec la deuxième chanson, Desaparecido... L'histoire d'un homme perdu dans sa vie, perdu dans son monde, perdu dans son siècle, qui ne sait pas où il va, qui ne sait pas ce qu'il fait là et que les gens appellent "le disparu".... Qui court pour trouver une raison de vivre, une fin, une vie. Un homme qui porte en lui une douleur qui l'empêche de respirer, un moteur qui ne veut pas s'arrêter... Qui a dans l'âme un chemin qui n'a pas de fin. Et il termine en disant :
"Perdido en el siglo veinte, rumbo al veintiuno".
Je suis perdu dans le vingtième siècle, je cours vers le vingt-et-unième.
Elle était là ma phrase. Une toute petite phrase. Celle qui a sauvé ma vie. Parce qu'il commençait à peine, ce vingt-et-unième siècle tant convoité. Parce que je finissais médiocrement ma vie de collégienne mais que je la finissais. Et comme je dis toujours, si à mon époque il y avait eu Facebook. Si le harcellement avait continué une fois fermée la porte de ma chambre, je pense que je ne serais pas là aujourd'hui.
Alors voilà, j'ai demandé une copie de la cassette à la prof et pendant des années j'ai écouté cet album et le suivant en boucle. J'ai dansé dans le "Univers du Livre" du coin quand j'ai écouté l'album en live.
En 2004, je suis allée à Madrid, je vous assure que j'ai fait le métro en long en large et en travers juste pour entendre, comme dans les chansons "Proxima Estacion" "Esperanza" "Avenida de la Paz" "Final de trayecto" (et pas "de tremiento" comme je l'ai cru des années et qui ne veut absolument rien dire).
J'avais d'ailleurs prévu de partir en Erasmus en Espagne et de vivre là bas. Et puis l'Ex, la vie ...
Mais aujourd'hui, je remercie mille fois Manu Chao et cette prof qui, sans le savoir, sans me connaître, a sauvé ma vie d'adolescente avec une simple cassette.
Comme tu le sais peut être (ou pas) je suis Auxiliaire de Puériculture depuis 1 an et demi. J'ai très peu d'expérience, 6 mois en maternité et 6 mois en néonatologie. Les autres 6 mois ? Et bien je les ai passés chez l'adulte.
Oui tu as bien lu, une auxiliaire de puériculture chez l'adulte.
Une décision de la Direction du CHU pour lequel je travaille. Je ne reviendrais pas là dessus, je n'ai pas choisi, mais j'ai accepté, pour garder mon travail.
J'ai failli faire un article pour te parler de mon envie de pleurer des premiers jours. Comment je me suis sentie perdue dans un service que je ne connaissais pas, pour un boulot que je ne connaissais pas... Les couleurs des protections, remonter quelqu'un dans un lit sans se péter le dos, et s'entendre dire qu'il fallait que je sois plus organisée et plus rapide...
Mais j'essaie de retenir l'essentiel.
Ce couple tellement soudé à domicile qui m'a appris à me servir d'un verticalisateur.
Ce même couple qui a tapé un scandale quand j'ai changé de tournée parce que "juste quand on commence à s'attacher, on vous arrache à nous, c'est pas juste".
Cette petite dame qui avait toujours froid.
Ce petit couple qui m'offrait toujours un café.
Cette patiente qui n'avait pas vraiment besoin d'être lavée, mais qui m'aurait volontiers invité à déjeuner.
Ces heures à tourner en rond avec ma voiture.
Certaines poignées de main. Certains regards. Quand les mots n'arrivaient pas mais que les gestes parlaient.
Les moments de solitude et d'angoisse aussi.
Ce patient qui m'a jeté dehors parce que j'avais 30 minutes de retard.
Cet autre qui a appelé ma hiérarchie juste parce qu'il s'inquiétait pour moi alors que je m'étais perdue.
Ces patients qui ont vraiment été tristes de me quitter.
La première fois que je me suis fait insultée par un dément et que ça m'a fait rire, même s'il ne fallait pas.
Les patients qu'on retrouve dans le couloir en tenue d'Adam, sans savoir ce qu'ils ont fait de leurs vêtements.
Les combats au SHA, à la sauce ou à d'autres trucs dégoûtants avec les collègues, ou les fringues planqués dans le vestiaire.
Ce patient qui ne pouvait plus parler, mais qui se tapait des barres avec moi pendant la toilette parce que je disais des bêtises.
Les "fous de la gâchette" qui m'appelaient parce que leur fauteuil devait être décalé d'un centimètre à gauche (et je n'exagère pas).
L'ouverture de service, le premier jour dans un vaste chantier à se demander ce qu'on foutait là.
Les fous rires nerveux en se demandant comment on allait faire, l'organisation du service alors que je ne savais même pas comment ça fonctionnait.
Les heures de ménage pour tout installer, le premier patient, les fou-rires en équipe, les pauses clope, le café sacré...
Les quantités de fluides corporels trouvés dans des endroits improbables qui m'ont définitivement immunisée contre à peu près tout.
Et toutes mes premières fois...
La première fois que j'ai rasé un homme et mon angoisse de le couper. Ma premières escarre et l'infirmière qui avait peur que je tombe dans les pommes. Mon premier Oedème Aigü du Poumon et cette heure interminable à tenter de rassurer mon patient qui se sentait mourir. Mon premier décès aussi.
J'ai vécu presque 5 mois de folie qui m'ont épuisés physiquement et moralement.
J'ai aussi vécu des moments incroyables dans le bon ou dans le mauvais sens.
En 5 mois j'ai eu l'impression de redevenir moi-même, d'accepter qui je suis, quelle soignante je suis et de suivre le mouvement. Je me suis rasée la tête, je me suis déguisée pour Halloween, j'ai chanté du Edith Piaf dans les chambres et dansé le Jerk avec les collègues en préparant les repas.
Aujourd'hui je suis retournée dans mon service de néonatologie. Ici on ne danse pas, on chante peu. C'est sérieux la néonat. C'est des soins intensifs. Il faut toujours être sérieux. Je me sens toujours à la traine, toujours jugée, toujours moyenne. J'ai l'impression que je ne serai jamais à la hauteur de ce qu'attendent mes collègues.
Et quand je fini un quart le coeur chavirant de mauvaises ondes, je me dis que merde, j'ai réussi à tenir le coup chez l'adulte où j'estime avoir fait du bon boulot au final. J'ai été une blouse rose parmi les blouses jaunes pendant des semaines. Je peux bien être une blouse rose parmi d'autres sans rougir.