vendredi 8 mars 2013

Alida, Adrienne et Emile.

Je ne savais rien d'Alida ou presque. Que son nom sur le caveau familial et parfois lâché au cours d'une anecdote par mon père. On est plutôt taiseux sur les histoires de famille chez nous, ceux qui savent n'en parlent pas, ceux qui veulent savoir ne posent pas de question. C'est comme ça, c'est tout. 

Je ne savais rien d'elle, hormis qu'elle portait, avant de se marier, le nom d'un philosophe grec. Je sais qu'elle a eu des enfants (forcément) mais je ne sais pas combien exactement. Dans le tas il y avait des jumelles et l'une d'elle était ma grand-mère, Adrienne

Je ne l'ai jamais connu, bien sûr, je suis une enfant "sur le tard", mes aïeux étaient déjà presque tous morts 15 ans avant ma naissance.

 J'ai cependant connu Adrienne quelques années (disons entre mes 4 et mes 7 ans). Une mamie gâteau, un peu sourde, avec un tablier à fleurs qui vivait dans la maison-aux-volets-bleus-du-bord-de-la-voie-de-chemin-de-fer. Je me souviens du poêle à charbon qui chauffait la cuisine dans laquelle on se regroupait tous, de la vieille télé qui n'avait que 3 chaînes, des tomettes par terre, du mobilier en formica, de la porte des toilettes dans laquelle je me suis coincée les doigts, du grand lit à édredon rouge si haut que je n'arrivais pas à y monter... Je me souviens du garde manger où étaient entassées toutes les provisions qu'elle faisait depuis la fin de la guerre tant elle avait peur de manquer. Je me souviens du café au lait de 18h juste avant de se coucher et de la "micheline" de 6h30 qui faisait trembler les murs. Je me souviens du puits dans le fond du jardin, dans lequel on prétendait qu'il y avait une "Roumec" une affreuse bête qui attendait que les petits enfants se penchent pour les entrainer au fond du trou. Je me souviens des colliers de perles multicolores et de la crème nivéa, la bleue, celle que je mets toujours aujourd'hui. 

De mon grand-père, Emile, je ne sais presque rien. Si ce n'est que l'un de mes prénoms lui rend hommage, qu'il était mineur, qu'il avait la carrure d'un rugbyman-videur de boite de nuit et qu'il mangeait pour 10 (p'tit zizi doit tenir de lui). Je sais qu'il est né en juillet, presque le même jour que moi, au début du siècle dernier. Il y a quelques années à peine j'ai découvert qu'il ressemblait beaucoup à mon père.

Mais d'Alida, rien.

Je l'imaginais en petite femme rustique, à poigne comme presque toutes les femmes de ma famille. Elle devait parler avé l'accent, savoir faire de la couture comme personne et cuisiner des tartes aux pommes pour ses petits enfants. J'imagine une pointe de soleil dans ses yeux et un sourire sans sa voix. Elle devait être chouette, Alida. 
 
Et la voilà, telle que je l'ai découverte pour la toute première fois en 2009 quand mon frère m'a envoyé cette seule et unique photo. Adrienne, ressemblant à ma tante presque traits pour traits, reprisant dans une robe à fleurs au pied de la maison. Alida, habillée de sombre comme ma grand-mère portugaise, comme ça se faisait à l'époque pour marquer le deuil de son mari, petite, vieille, usée par la vie, mais souriante... 
 
Je me demande ce qu'elles pensent de moi à cette heure. Ce qu'elles pensent de leur petite-fille et arrière-petite-fille si peu conventionnelle. Je me demande si elles approuvent mes choix ou pas. Je me demande si je ressemble à l'une d'elle quand elle était jeune ou si mon fils prendra des caractéristiques de leur famille. 
 
Je me demande ce qu'aurais été ma vie si je les avais plus amplement connues. J'aurais aimé m'assoir auprès d'elles comme sur cette photo avec mon ouvrage en savourant le soleil du sud et le chant des cigales.  J'aurais aimé écouter les anecdotes de famille et la politique de comptoir en buvant du rouge qui tâche sur une toile cirée. J'aurais aimé que "la Mamé" m'apprenne à repriser les chaussettes et à faire un ourlet. J'aurais voulu qu'elle blinde ma voiture de pélardons avant que je rentre de vacances et qu'elle m'embrasse avec une main sur chaque joue comme le fait ma grand mère portugaise, en me disant de prendre soin de moi et de faire attention sur la route, avec ce tremblement dans la voix qui dit tout ce que les mots sont impuissants à transmettre. J'aurais aimé lui confier mes doutes et mes craintes, lui demander des conseils de grand-mère et la voir ressortir les photos jaunies de vieux albums miteux. J'aurais voulu avoir de vraies conversations avec elle, pas les conversations en demi-teinte que j'ai avec la grand-mère qu'il me reste parce que la distance et la barrière de la langue nous empêchent de faire mieux.

Bref, j'aurais voulu avoir une autre grand-mère...




La Prune




4 commentaires:

  1. J'ai eu la chance de connaître tous mes grand-parents et même mon arrière-grand-mère! Et j'ai toujours ma grand-mère maternelle, elle a 90 ans, vit toujours seule chez elle, parfaitement lucide, plutôt en forme...
    J'ai partagé plein de choses avec eux, surtout côté maternel, je passais la plupart de mes vacances chez eux, chouchoutée, à écouter leurs histoires, leur jeunesse, la guerre, leur travail, etc. Des moments inoubliables que je chéris...

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    1. Savoure-les, ces moments, tu as de la chance... j'en ai aussi de très beaux dans ma famille portugaise, mais ils sont rares, et malheureusement on n'a jamais pu avoir de vraies conversations, ils ne connaissent pas vraiment ma personnalité, et je n'ai absolument aucune idée de qui étaient mes arrière-grands-parents !

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  2. Je n'ai pas connu mes grands-parents à part un grand-père que j'ai toujours et que je chéris énormément. Ma grand-mère, sa femme, j'y pense souvent. Je me demande aussi ce qu'elle penserait de moi, de ses petits-enfants et arrières-petits-enfants qu'elle n'a pas connu ...
    Ton billet m'a émue et j'aime beaucoup la photo qui l'accompagne.

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    1. Merci beaucoup :-) C'est la seule photo que j'ai et j'y suis très attachée, je me fais beaucoup de films en la regardant, un peu comme si elle était animée comme celles d'Harry Potter...
      Mine de rien, le manque fini toujours par se faire ressentir à un moment où un autre... Je suis très jalouse de Pruneau qui a connu ses arrière-grands-parents et qui a toujours ses grands-parents... il connait toute l'histoire de sa famille jusqu'au XVIème siècle quand je ne connais même pas celui de mes grands-parents... il a beaucoup de chance !

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Les commentaires sont modérés alors ne t'inquiète pas s'ils mettent du temps à s'afficher, je suis pas toujours là mais ça finira par arriver et j'y réponds (presque) toujours !