dimanche 28 septembre 2014

La Voie

 

 

C'était une voie de chemin de fer. 


Du temps où la région était prospère. Du temps où mon village était une cité industrielle florissante. Du temps où tout ne passait pas par Paris. C'était une voie de chemin de fer qui reliait ma campagne Normande à Dreux, la Grande Ville la plus proche. 

En ce temps là, les locomotives étaient encore à vapeur. 

Et puis, les temps ont changé. Il y a eu deux guerres mondiales. Les gens sont partis des campagnes pour rejoindre la ville. Les usines ont fermé. Mon bourg industriel est devenu un village de campagne. Les trains se sont raréfiés, les passagers et les marchandises aussi. La voie n'était plus rentable. La voiture a pris le dessus sur le train.  Et un jour, on l'a abandonnée.

Comme la plupart des voies qui sillonnent la Normandie, elle a commencé à être envahie de mauvaises herbes, la nature a repris ses droits. Les gares sont devenues des habitations ou des mairies. Les grandes halles de marchandises sont devenues salles des fêtes. Les maisons des garde-barrières ne gardent plus grand chose. 

Et puis il y a quelques années, quelqu'un a eu la bonne idée d'exploiter cette jolie voie et l'a soigneusement recouverte d'asphalte. 

27 km de route lisse. 

Une voie verte. 


Elle garde toutes les traces de son passé. Les ponts très hauts, les grands chênes, les talus, les pierres de ballaste. Elle dégage par moment une atmosphère irréelle, intemporelle, presque magique. On croirait parfois que la locomotive rouge de Poudlard va surgir sous un tunnel dans un grand panache blanc en sifflant à toute vapeur.

Mais aujourd'hui les trains ont laissé la place à des petits vieux qui se baladent main dans la main. Ils ont laissé la place aux vélos. De grands vélos neufs et précieux ou de vieilles bicyclettes rouillées qui grincent. Des cavaliers, quelques scooters qui me font râler, et surtout des familles, des tas de familles. Avec des enfants à vélo, en roller, en draisienne, en poussettes. Des gens qui se disent bonjour sans se connaître, qui engagent la conversation, qui se demandent quel âge a le petit dernier qui trottine sagement ou quel est le nom de cette belle poupée blonde qui dort dans la poussette. 

J'y croise des tas de gens, la nounou, les voisins, ce monsieur dans sa petite voiturette, celui qui promène ses magnifiques chiens de chasse et cette vieille dame en Sari rose - toujours le même - qui fait des aller-retour sans cesse et qui apporte une touche exotique dans le décor. Je n'ai pas encore fait la totalité des 27 kilomètres, j'arpente souvent les mêmes parcelles, celles que je préfère.

Cette voie c'est notre patrimoine, l'histoire de notre région. C'est notre passé, notre présent, notre futur. C'est là que nos enfants font leurs premiers pas, qu'ils apprennent le vélo, qu'ils se créent des souvenirs, qu'ils découvrent le monde.


C'est une voie de vie. 



4 commentaires:

  1. Tu sais quoi, je suis d'accord avec toi. C'est un très joli billet qui mérite d'être mis en avant. C'est le genre de texte que je n'aurais pas forcément remarqué, noyé dans la masse mais que j'apprécie énormément lu en intégralité. C'est vraiment dommage parfois parce qu'on peut passer à côté de beaux textes. Merci de m'avoir laissé un petit mot, ça me permet de découvrir ton univers ;)

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  2. oh merci, ça me touche ! Et merci à toi pour ton article si vrai, je me suis totalement reconnue dedans !

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  3. Très jolie article !
    Il y'avait une voie verte près de chez mon père qui nous y emmenait très souvent pour faire du vélo ou du roller. J'y ai plein de souvenirs et j'espère qu'il en sera de même pour ton Brugnon !

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  4. C'est un très joli texte qui a éveillé ma curiosité!!! C'est où ??? Tu m'as donné envie d'y aller!!!

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Les commentaires sont modérés alors ne t'inquiète pas s'ils mettent du temps à s'afficher, je suis pas toujours là mais ça finira par arriver et j'y réponds (presque) toujours !